CHRONIQUE 10

TONTON CRISTOBAL MYSTIFICATEUR !

 

C’est peu de dire combien j’ai peu d’estime pour Christophe Colomb.

Mon périple me conduisant sur ses traces sur l’ile de PORTO SANTO dans l’archipel de Madère vient - par une subite intuition - me permettre d’en deviner les raisons cachées…

Parfois, les lieux où on vécu de grands personnages historiques ‘parlent’ plus et mieux que toutes les monographies savantes fondées sur des données livresques mal digérées !

 

Honneur au Portugal !

Je porte une admiration sans borne à l’extraordinaire entreprise de découverte initiée par le Prince du Portugal, Henri le Navigateur, à partir de 1415. Tout y est de ce qu’on peut désigner sous le terme moderne d’ ‘entreprise de découverte’ :

  • · Une hypothèse : il est possible d’accéder directement aux sources d’approvisionnements en épices en contournant un continent connu dans sa réalité, mais ignoré dans sa configuration exacte, l’Afrique.
  • Des validations probantes : un des marchands-espions juifs envoyés secrètement dans la corne de l’Afrique parvient à faire parvenir une missive confirmant : « il y a un passage (au sud de l’Afrique) » confirmant d’autres sources autorisées.
  • Un homme visionnaire : le Prince Henri le Navigateur devient le porteur d’un projet qui transformera son petit pays sans ressource – le Portugal – en une des plus grandes puissances mondiales.
  • Des ressources dédiées : Henri le Navigateur créé de toutes pièces un ‘cluster’ à Sagres où il attire moyennant finances – et surtout devoir d’innover – les meilleurs experts européens dans leur domaine : cartographie, navigation, construction navale…
  • La ténacité à long terme : l’objectif est de découvrir 100 milles de côtes nouvelles par an par tous les moyens, publics ou privés… jusqu’à ce que Bartolomeu Dias franchisse le cap des Tempêtes - rebaptisé de ‘Bonne Espérance ‘par le roi Jean II du Portugal puisqu’il ouvrait la route des indes en 1488 - 73 ans plus tard…
  • Des résultats effectifs : dès la découverte du golfe de Guinée (Costa de Oro), l’entreprise se solvabilise elle-même amplement (or, ivoire, esclaves…), jusqu’à ce que Vasco de Gama parvienne le 21 mai 1498 au port indien de Pantalayini à une vingtaine de kilomètres de Calicut… en vertu du Traité de Tordesillas (16 juin 1494) qui attribue la moitié du monde – la meilleure puisque la plus connue - au Portugal !

Comment expliquer dès lors l’engouement sans limite pour Cristobal Colon ?

 

Cristobal, intime du ‘Système portugais !

Ce que me révèle plus directement mon passage sur les lieux où il vécut -  VILA BALEIRA sur l'île de PORTO SANTO - est que Cristobal appartient par toutes ses tripes au ‘Système portugais’.

Le mot ‘tripe’ étant pris dans tous ses sens… puisqu’il épouse à PORTO SANTO - bien que roturier -la fille du Capitaine-Gouverneur de l’ile Bartolomeu Perestrelo. 

Son beau-père conquiert ce titre en accompagnant les ‘découvreurs’ de l’île en 1418Joao Gonzalves Sarco et Tristao Vaz Texeira – lors de leur second voyage visant à coloniser l'archipel, l’île proche de Madère étant ‘explorée’ à cette occasion.

Cristobal accède par son mariage en 1479 avec Filipa MONIZ a une connaissance intime du ‘Système portugais’, outre l'affection et l'attachement liant deux époux.

Grâce à ses liens intimes, il saisit l'opportunité de découvrir toutes les cartes portugaises tenues secrètes de son beau-père mort en 1457 décrivant les systèmes des vents & courants dominants de ces mare & terra incognita.

Au-delà il s'intègre dans les réseaux des marins portugais monopolisant les résultats de leur  exploration méthodique des côtes ouest de l'Afrique grâce à leur maîtrise du flux des alizés dans les hémisphères Nord & Sud... car il s'agit de savoir Partir ET Revenir !

Si Filipa décède vers 1480, elle donne naissance au fils aîné de Cristobal, Diego Colon, que Cristobal désigne comme l'héritier de ses titres par testament avant sa mort à Valladolid en 1506... après l'avoir fait adopté par sa seconde épouse pour assurer sa protection.

C'est donc à VILA BALEIRA que naît Cristobal le Découvreur : en même temps son DESIR DES DECOUVERTES inspirés par la lignée de son épouse dont son fils est le fruit aimé ; et en outre, LES RESSOURCES en termes de savoir & savoir-faire qui lui permettront d'ouvrir la voie aux Grandes Descrubimientos espagnoles.


Le système portugais : ‘tu trouves, tu gagnes !’

Il serait possible de résumer le ‘système portugais’ à partir de quelques principes :

  • ·       Le premier est – si possible ! – d’avoir une connaissance préalable de ce qui sera ‘vendu’ comme une ‘découverte’ aux Puissants du monde, si possible à partir d’une ‘mise en scène’ de la Providence divine… pratique inchangée à ce jour !

Les découvreurs Joao Gonzalves Sarco et Tristao Vaz Texeira scénarisent une tempête mettant en valeur un havre salvateur opportunément dénommé PORTO SANTO… comme Cristobal met en scène ses premiers pas à San Salvador selon un rite qui demeurera égal à lui-même un demi-millénaire… sinon au-delà : « un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’Humanité » en déployant le Stars & Stripes (Neil Amstrong, Premier pas sur la lune, 1969). Jacques Cartier vendra de même la ‘découverte’ de la Gaspésie… où il avait déjà navigué avec ses copains pécheurs malouins !

  • ·       Le second est de maîtriser le plus parfaitement possible le circuit des vents portants dans les hémisphères nord (puis sud) permettant d’aller ET revenir.

Cristobal – de son métier Pilote hauturier atlantique - le maîtrise parfaitement, qu’il s’agisse d’atteindre les Canaries – où il avait sa maîtresse à Gomera -en revenant par Madère ou de descendre plus au sud en revenant par les Açores.

 L’unique question pour lui devient : pourquoi ne pas se laisser porter plus loin vers l’ouest par les alizés de NE… puisqu’il est possible de revenir porté par vents de SO !

Il reste à satisfaire au troisième principe sans lequel tout le reste est sans valeur : obtenir l’onction de Grands de ce Monde pour assurer sa 'modeste' part au Grand Festin promis à tous... l'ambition face à de tels enjeux se doit d'être illimitée !

 

Cristobal retoqué par ses pairs portugais !

Le Portugal – interlocuteur ‘naturel’ de Cristobal – refuse poliment pour de bonnes raisons : le passage par le Cabo de Boa Esperança est connu ainsi que toutes les côtes africaines de l’ouest, l’accès direct aux Indes n’est plus qu’une question de décision, d’hommes et d’argent (c’est définitivement réalisé par Pedro Álvares Cabral en 1500).

Outre l’inutilité de gaspiller des ressources dans un but incertain, je pense que les cartographes portugais (en fait européens) – dont le frère de Cristobal et son meilleur soutien espagnol, Antonio de la Marchena du monastère de La Rabida à Palos de la Frontera, connaissaient la circonférence du globe terrestre (40.000 km)... même si les désirs prenant le pas sur les réalités, certains - dont Colomb - n'hésitaient pas à la réduire pour les besoins de leur cause plus ou moins drastiquement à 30.000 km, sinon 20.000 km !

De ce fait, la distance entre les Canaries et CIPANGO – le nom donné au Japon par les chinois selon Marco Polo – ne pouvait être aussi courte que Cristobal ne le prétend ‘officiellement’... sachant qu’elle est d’environ 15.000 km (presque 40% de la circonférence terrestre) .... ce qui laisse une marge d’erreur que même un Cristobal mystificateur ne pouvait s’accorder connaissant les distances franchissables par les navires de son temps !!!

 

Cristobal mystificateur de Cipango ?

Là intervient mon ‘intuition’, opportunément confortée par l’argot fleuri de Pierre Perret, dans son inoubliable chanson, Tonton Cristobal est revenu

Cristobal décide de ‘faire croire’ aux Puissants – cumulant souvent une vanité illimitée à une ignorance crasse – qu’il est en mesure de leur apporter sur un plateau une relation directe avec le plus grand empire connu au monde, la Qatay (Chine) via Cipango (Japon), moyennant un investissement misérable (les moyens engagés par les couronnes espagnoles dans l'expédition de Colomb sont ridicules au regard de ceux de La Reconquista, sans évoquer les ressources du Portugal !)

Minimisant avec un aplomb sans scrupules les distances à franchir, Cristobal finit par obtenir l'Onction royale incontournable des deux challengers de l'époque, Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon, dont es ambitions se tournent après la finalisation de La Reconquista vers la mer.

Moyennant quelques promesses qui n’engagent que ceux qui les croient : le titre à l’ambition sans fard de Vice-Roi des Indes et d'Amiral de la Mer Océane... et un bon pourcentage sur les plus-values (Monsieur 10% déjà !). Ben voyons, ça ne mange pas de pain, c'est les affaires, on promet et on négocie ensuite, vogue la galère... 

Voilà Cristobal, fils de petit roturier génois, devenu Grand d'Espagne par la grâce des Capitulations de Santa Fe (1492) !

 

Des indices de mystification par les pratiques de ‘découverte’…

La question devient de savoir si Cristobal croit vraiment qu'il découvrira - et découvre Cipango.. ou s'il simule pour ne pas perdre toute sa mise ; l'honneur, les titres, les revenus...

Selon mon intuition, lorsque Cristobal ‘découvre’ San Salvador, Cuba, Hispaniola et les autres îles de l’arc caraïbes lors de ses 4 voyages, IL SAIT que ce n’est pas Cipango – et pour cause, il n’y a jamais cru lui-même.

Une des preuves serait qu'il répète les rites de possession au nom de la Providence divine applicables UNIQUEMENT à des ‘terres vierges’ (terra incognita) devant des autochtones en état de sidération incapables de comprendre ce que signifient ces rites étranges... jusqu'à ce que se pose la question de savoir si ce sont des êtres humains comme les autres (Controverse de Valladolid).

Or il savait de source avérées que considérer des territoires et ceux qui y vivent comme des res nullius appropriables librement était irréalisable dans les pays de ‘haute civilisation’, qu'il s'agisse des Empires chérifien, turc, arabes... et au-delà indien, sino-mongol et autres décrits par Marco Polo à travers son livre, Le  Devisement du Monde, ouvrage de chevet lu, relu et abondamment annoté par Cristobal !

Je pense que Cristobal - par son ambition démesurée - souhaite juste répéter le ‘bon coup’ de son beau-papa dans l’archipel de Madère, mais en plus ‘grand’ … comme un parfait gendre qui se respecte justifiant de son mariage entre un roturier de basse extraction et sa bien-aimée femme, mère adorée de son fils aîné chéri Diego... quitte à 'jouer sur les mots' en toute innocente malignité... les affaires sont les affaires, une fois sur place, face au pactole, chacun récupérera sa mise... 

D'où ses voyages de plus en plus 'affolés' : pour faire oublier qu'il ne s'agit pas de Cipango, il faut rapidement trouver or et pierres précieuses sonnant et trébuchant... d'autant plus qu'Isabelle de Castille a nettement interdit dès le 2° voyage la mise en esclavage des 'indiens', contrairement aux pratiques de solvabilisation portugaises.


Une mystification vite dégonflée

D’autres explorateurs - contraints à plus de rigueur par leurs nouveaux puissants mandants cherchant à se tailler leur part du nouveau gâteau (François 1°, Henry VIII…) -, dégonfleront rapidement la mystification colombienne.

Amerigo Vespucci,  proche de Cristobal, ‘invente’ le continent AMERIQUE en 1503 (désigné définitivement comme tel par les cartographes à partir de 1532) – seulement 8 ans après la ‘découverte’ de Colomb. 

Il constate cette évidence ressortant des comptes-rendus de découvertes : il se dresse la plus longue barrière terrestre qui soit du  Nord au Sud, bloquant l’accès de l’Europe vers l’Asie par l’ouest.

Vasco Núñez de Balboa trouve le passage vers les Mers du Sud à travers l’isthme de Panama en 1513, permettant la mise en place (50 ans plus tard) du Galion de Manille jusqu’à Acapulco (côté Pacifique) relayé par la fabuleuse Flota de Indias ralliant Séville ou Cadix à partir du port de … Colon (côté Mer des Caraïbes !

Ce sont surtout les mines d’argent du Potosi (1545) qui rentabiliseront – enfin et au-delà de toutes espérances qui n’étaient pas modestes – le très limité investissement d’Isabel de Castille et Ferdinand d’Aragon dans l’imposture de Cristobal.

 

Cristobal joue… et perd (sauf l’honneur ?)

Quant à Tonton Cristobal, le voilà pris à sa propre mystification : comment reconnaître publiquement le contraire de ce qu’il a toujours affirmé ?

Le reconnaitre lui interdit d’énoncer l’hypothèse qu’il s’agit de TERRES INCONNUES au sens propre (l’Afrique et l’Asie sont alors ‘connues’)… erreur dont nous lui sommes plus ou moins redevables selon les points de vue entre colonisateurs et colonisés… .

Le reconnaître remet en cause le droit d'en toucher les dividendes – non seulement symboliques (quelle gloire y-a-t-il à se tromper ?) -, mais aussi sonnants et trébuchants… puisque à cet instant de l’Histoire, la confrontation avec les mal-nommés ‘indiens’ cannibales vivant dans l’état de nature une plume sur la tête n’est de nul rapport (imaginons les japonais d’hier et d’aujourd’hui dans l’état de nature avec une plume sur la tête…).

Cristobal choisit l'honneur - c'est à dire ne pas 'perdre la face' - jusqu'à interdire à ses hommes sous peine de mort d'évoquer la possibilité qu'il ne s'agit pas de Cipango, mais de nouvelles terres inconnues... ce qui était une évidence qui crevait les yeux ! 

Le mystificateur s'enferme dans son déni de réalité...

 

Les Tontons-Cristobal ne sont pas ceux qu’on croit

Mais la dette de l’Empire de Carlos Quinto « sur lequel le soleil ne se couche jamais » envers Cristobal Colon est trop immense pour que ne lui soit pas rendu un 'culte'  légitimant par droit divin, le principe et les résultats des Grandes Découvertes :

Christophe Colomb affirme pour un demi-millénaire (sinon plus !) le droit de prise de possession illimité par toutes les puissances européennes - d’alors et d’aujourd’hui - du moindre écueil ou personnes ‘découvert’ par ses ‘explorateurs’ sur l’ensemble du globe… (les ‘écueils & personnes’ prenant d’autres formes à ce jour...).

Si Cristobal avait ‘vraiment’ découvert Cipango, cela aurait été moins facile… comme les portugais l’ont expérimenté en négociant directement avec les puissances musulmanes, indoues, malaises, chinoises, japonaises… le simple droit de disposer de modestes "comptoirs" !

La mystification colombienne légitime une mystification plus immense :  offrir sur un plateau aux 'puissances dominantes' de leur temps de considérer comme res nullius tout ce qu'elles estiment 'intéressant'  de s'approprier pour leurs  plus grand profit !

 

Cristobal, prophète visionnaire ou mystificateur maudit ?

Il me semble pouvoir conclure qu’à travers la mythification du personnage ‘inventé’ de Christophe Colomb [1], nous continuons - plus ou moins subliminalement – à justifier ce « droit de conquête illimité par droit naturel » générant les mêmes profits illimités par les mêmes procédés illimités… désigné aujourd’hui sous le terme policé de ‘globalisation’.

Christophe Colomb par l'hubris de ses ambitions démesurées et ses pratiques border line  légitime le Primum mobile des Temps Modernes dont nous sommes les héritiers ... malgré nous ?

 



[1] Ce dont le film1492 : Christophe Colomb (1492: Conquest of Paradise) réalisé par Ridley Scott sorti en 1992. avec Gérard Depardieu dans le rôle de Christophe Colomb témoignerait.

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