CHRONIQUE 16
RECIFS DE RECITS
Il est des villes dont la laideur confine au sublime ; d’autres
toujours en quête d’un récit porteur de sens surgi des cahots de leur histoire.
ARRECIFE (récif en français) est la ‘capitale’ de l’île de LANZAROTE
depuis le milieu du 19° siècle, remplaçant TEGUISE à l’intérieur de l’île.
Sa localisation en retrait de côtes inhospitalières, dans une
baie basse parsemée d’îlots et de récifs volcaniques noirs, emplies de lagunes peu
profondes, a favorisé la création de plusieurs havres devenus ports.
Sans remonter aux débuts héroïques de sa colonisation par un normand
sans scrupules né dans le Pays de Caux, Jean de BETHENCOURT en 1402, ARRECIFE
est une ‘capitale’ dotée des attributs politiques, administratifs et religieux
dans le style espagnol classique reconnaissable entre tous par son délabrement consubstantiel.
ARRECIFE est un port de pêche regroupant la plus grande
flotte de bateaux de pêche des Canaries, justifiant d’un Instituto Polytechnico
de las Pesces flambant neuf donnant sur le port réservé aux chalutiers rouge
ou bleu à la proue puissamment relevée.
ARRECIFE a développé son port de commerce permettant
aux cargos & porte-containers d’accoster en eaux profondes pour ravitailler
l’île au fur et à mesure de la croissance de ses besoins, en particulier
lorsque sa vocation touristique s’est affirmée au milieu des années 1960.
ARRECIFE a construit un port de plaisance flambant neuf
confié à une entreprise spécialisé (CALERO MARINAS), en tirant parti du fait qu’il
s’agit du premier port protégé pour les voiliers parvenant du nord – Portugal, Gibraltar,
Espagne, Maroc… - qu’ils souhaitent naviguer aux Canaries ou poursuivre leur
périple transatlantique.
S’ajoute au tout ARRECIFE tentant de devenir la vitrine de la
GLOBALISATION avec sa grande rue piétonne bordée des éternelles mêmes enseignes
de luxe mondiales, de proliférantes agences bancaires et d’assurances flambant
neuves, de mall commerciaux labyrinthiques multi-étages avec pluri-parking en
sous-sol…
A ces actes volontaires s’ajoutent la vocation subie d’accueillir
nombre d’immigrants clandestins jouant leur vie à la roulette russe de la Mondialisation
heureuse du fait de la proximité avec les côtes africaines.
Vous versez le tout dans un shaker, vous mixez fort à coups d’investissements
pharaoniques européens ou autres, vous dévissez le couvercle… et vous découvrez
des récits chaotiques qui se brisent sur les récifs du sens.
Les strates du temps co-existent à l’état brut, en parcourant
tout le spectre des temps : des bâtiments historiques rongés par la
ruine aux expositions culturelles branchées pour happy few, de la nouvelle
misère clochardisée des rues à la pauvreté native des ouvriers-pécheurs, des
boutiques de luxe désertes à l’hyper-modernité triomphante des salles de
fitness pour néo-prolétaires du tourisme de masse, le tout recouvert de la guimauve
touristico-culturelle politiquement correcte en mal de restaurants et de shots ‘typiques’…
Face à ce chaos, mon propre récit se brise lui-aussi sur les
récifs du sens en étant tenté de privilégier les strates répondant à mes obsessions
personnelles, au détriment de la multiplicité des réels (dois-je photographier
une boutique DESIGUAL pour rendre compte fidèlement du réel sous mes yeux ?)
Je me propose donc d’illustrer ARRECIFE à travers sa
statuaire, qui - selon mes perceptions- détone par rapport à la pauvreté de
ce monde d’expression dans mes univers urbain natifs … sauf à y placer des œuvres
‘contemporaines’ ou ‘moralinisantes’ en rupture avec toutes racines profondes.
Je ne reconnais pas cet hubris hystérique dans les quelques
statuaires illustrant cette chronique inspirée par ma vision d’ARRECIFE.
César MANRIQUE, le grand homme contemporain de l’île de LANZAROTE dont on souhaiterait qu’il inspire à distance de multiples vocations se proposant de mettre en valeur par l’architecture la beauté des mondes dont nous sommes héritiers…
Extraordinaire statue célébrant un pécheur né à ARRICIFE et exilé à Cuba qui, après avoir sauvé Ernest HEMINGWAY d’un naufrage, deviendra son ami en péchant avec lui … jusqu’à lui inspirer la dernière œuvre la plus connues du Prix Nobel de littérature (1954), Le Viel Homme et la Mer (1952).
Statues originales situées à l’entrée du nouveau Port de plaisance tentant d’exprimer par deux gestuelles sans visage les qualités morales des habitants de LANZAROTE - Agradecimiento (accueil) y Humilidad (humilité), la question devenant de savoir si ces gestuelles – mains jointes, bras croisés - peuvent être appréhendées de la même manière par d’autres cultures ?
Etranges statues célébrant un rite de carnaval local, la découverte d’une exposition ‘branchée’ sous subsides culturels -donc sans aucun visiteur -, sur la culture folklorique locale semblant induire un certain attachement à des passés disparus.
Enfin, retour à la vulcanologie puisque l’île de
LANZAROTE n’est qu’une mince croûte de scories volcaniques flottant sur des mers de laves en fusion…
Je finis avec cette tombe de pêcheur qui exprime je crois la profonde identité d'ARRECIFE...
Les mais jointes de agradecimiento Veux dire remerciement plutôt que accueil.... Cela explique le geste 😉😉😉
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