CHRONIQUE 21
ULTIMA JANDIA
Les bouts du monde autochtones ne sont jamais très éloignés des
bronzariums industriels apatrides.
J’en ai ressenti l’expérience lors de mon dernier mouillage à
PUNTA DE JANDIA, nom du cap surmonté d’un puissant phare marquant
l’extrémité sud-ouest de FUERTEVENTURA.
Sa présentation sur NAVILY m’est apparue - après usage - plus
que publicitaire :
« Les fonds sablonneux de ce
mouillage vous permettront de jeter l’ancre facilement à environ 10m de profondeur…
Depuis votre bateau, profitez d’une vue remarquable sur la plage de Puertito
ainsi que sur le fameux phare de Punta Jandia ».
De sable, il faut bien le chercher… et ma chaîne d’ancre
s’est de nouveau emmêlée dans les multiples rochers pavant la baie … bien que
mouillée par hasard dans la seule plaque de sable… quant à la vue sur la plage
parsemée de galets noirs et le phare, rien à voir avec celles que je viens de
quitter à SOTOVENTO ou MORRO JABLE !!!
Comment exprimer mes impressions de bout du monde ressenties à
terre comme en mer… dont mes photos rendent mal compte : que serait un bout
du monde photogénique… ou pire encore, prendre des photos d’un bout du monde ?
Après avoir plongé pour constater mon mouillage imparfait, je rejoins la plage en paddle ; un surf raté sur une belle vague déferlant sur la grève me jette cul par-dessus tête au milieu des rochers affleurants (je n’ose imaginer une annexe avec moteur HB !).
Une étroite bande de terre relie le cap à la terre, la
houle de Nord-Ouest de l’autre côté de l’isthme s’écroulant en gros
rouleaux d’écume sur l’immense chaussée de récifs à fleur d’eau s’étendant très
au large.
Cette étroite langue de terre semble inondée par la mer lors
de grandes marées & tempêtes, la route goudronnée de neuf la reliant au
phare étant surélevée pour sécuriser son accès.
Dispersés sur cette langue de terre s’alignent quelques camping-cars
– exclusivement espagnols – attirés par cet espace désolé et solitaire leur donnant
directement vue et accès à une plage étroite et raide parsemée de galets-géants
de lave noire.
Le minuscule hameau de PUERTITO (le petit port) est
tout sauf un port : juste une cale creusée dans le tombant d’une courte falaise
encerclée d’un chaos d’écueils accessible à de fragiles canots à faible tirant
d’eau.
Les maisons basses mitoyennes, cubes colorés de pauvre chaux blanche
écaillée par le vent, s’alignent le long d'une vague ruelle de terre brute où gisent
des 4x4 hors d’âge recouverts des essieux au toits d’une collante poussière rougeâtre.
Les bas des portes sont calfatés par des chiffons usés calés
par des galets de lave tentant d’empêcher les sables soulevés par les vents de
s’infiltrer dans les pièces.
Les lampadaires solaires, aux portiques rouillés jusqu’au fer,
brandissent des panneaux terreux dévoilant quelques maigres centimètres carrés aux
rayons de soleil, au sommet de gibets plantés on ne sait où.
Le mât de l’éolienne grand format au vent du hameau, aux immenses
pales immobilisées - comme l’antenne de télécommunications rouge et blanche à
ses côtés - sont rongés par l’incurable gale des rouilles, non loin du
réservoir d’eau potable enterré nourri par un lointain camion-citerne de bomberos
(pompiers).
Des tancarvilles où sèche de petites lessives trônent au
seuil de quelques portes, à côté desquels quelques fantômes humains gisent immobiles
et muets sur de vieilles chaises branlantes en prenant l’air ombra
o sol selon l’heure du jour.
Des caravanes déglinguées s’égrènent çà et là, solitaires au milieu
de no man’s land... ou s’agglutinent en bidonville entassées les unes sur les
autres pour faire le dos rond aux grands vents d’ouest.
Les bas de caisse sont masqués d’antiques panneaux
publicitaires, leurs antennes de télévision en forme de crabes alignés symétriquement sur leurs toits. Des bâches éventrées figurent des terrasses brûlées par le
soleil, les câbles électriques courant à travers les rues les nourrissant la nuit.
Quelques azuleros sur le fronton des logements esquissent des identités locales : « esta una casa de pescador », « Maria Madonna »…
Une inattendue statue de pécheur de poulpe - avec son crochet
de fer où s’agrippent des tentacules - trône devant l’unique Bar/Restaurante
de Pescadores d’une incongrue placette dallée...
Au pied de la cale, des pécheurs du dimanche écaillent,
éviscèrent et nettoient à grande eau de mer les poissons luisants pêchés dans
la journée.
Je surgis soudainement devant quelques autochtones en repos, le
dos au soleil adossés sur un muret chaulé usé par les séants, comme un extraterrestre chu
d’un astéroïde extragalactique : « Olà… Olà ! » (j’ai
failli dire « E.T. téléphone maison » !)
Je découvre PAX roulant au gré d’invisibles houles, solitaire
au milieu de la baie, en ce crépuscule montant.
Des hommes & femmes - enfants, adultes, vieillards - sont
nés, ont vécu, vivent - et vivront encore ? - dans ce bout du monde râclé
jusqu’aux dernières couches de lave antédiluviennes par les vents, les
tempêtes, les embruns, la poussière et la solitude.
Le tout à une poignée de kilomètres d’un des plus
emblématiques spots touristiques canariens…
Hommage à eux et à la mémoire d’ULTIMA JANDIA !
qu’est ce que tu fais de ton paddle quand tu accoste et vas te promener ? pour que tu le retrouves à ton retour ?
RépondreSupprimerPour le moment, je n'ai pas eu de problème... soit qu'il y ait bcp de monde, soit qu'il y ait presque personne... sinon à Cadix par exemple, je l'ai stocké à côté des barques de pêcheur attaché à un anneau avec un cadenas de vélo (mais il reste les pagaies !)
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