CHRONIQUE 27
BARANCO VENEGUERA
Je ressens une fascination devant le Baranco VENEGUERA
où PAX roule et tangue continument - nuit et jour - depuis quelques
temps.
Comment exprimer mes impressions impalpables ?
Il y a sans doute le contraste absolu avec les néo-méga-usines-touristiques-de-masse
découvertes les jours précédents, dont le gigantisme pharaonique dépasse
l’imagination des plus délirants auteurs de SF.
Mais d’autres mouillages n’ont pas suscité en moi ces sentiments…
La vallée est profonde, laissant le regard distinguer au loin quelques maisons blanches perdues au milieu de plantations d’arbres, tâches de verdure incongrues au milieu du désert de laves de GRAN CANARIA.
De chaque côté, des falaises verticales - telles des murailles de forteresses effondrées - dressent leur aplomb de rocs sculptés par l’érosion découvrant leurs strates noires, ocres, pâles… où le soleil et les nuages dessinent ombre sur ombres et lumière sur lumières.
Le fond de la vallée sèche comme un sahara est un large
lit de galets mélangés à de lourds sables grisâtres roulés par des
flots dont on peine à imaginer l’existence et la puissance.
Au bout, la large plage de sable noir devant laquelle PAX
a jeté son ancre grâce à cette érosion providentielle.
Sur le flanc droit de la vallée, une piste étroite (une seule
voie) descend en lacet jusqu’à son fond, avant de se ramifier en chemins
de terre invisibles arrachés aux flancs des falaises permettant d’atteindre
le long des flots d’étroites plages plus au nord.
Etrangement, le fond de la vallée jusqu’à la plage a été
rabotée par des pelleteuses comme si les titans avaient décidé de tout mettre
en ordre avant de quitter les lieux.
De chaque côté de la plage, une maison ; l’une à gauche au ras des flots, derrière un éperon rocheux, noyée dans un minuscule ilot de verdure de palmiers et tamaris ; l’autre à droite, en hauteur, bloc blanc cubique aux fenêtres étroites et volets de bois clos, le tertres côté terre ombragée par un immense laurier.
En contrebas, dans un creux de falaise, une niche blanchie à
la chaux abrite une madone en plastique phosphorescent qui irradie ses
rayons dans la nuit, à côté de pauvres pots de plantes grasses.
Sur la plage, des Vénus blonde sorties des eaux telles des
Eves au Paradis céleste se rêvent femme première au tout début du monde… leur
portable à selfies à bout de bras.
Au milieu de la plage, une ruine abandonnée en gros appareil de pierres volcaniques aux tons noirs et jaunes, taillées et ordonnancées parfaitement, en distinguant pierres d’angle, de linteaux, de seuils, de parement et de blocage, avec sa terrasse en forme de tour en hauteur… dont je ne parviens pas à imaginer la destination (poste fortifié conquistador ?).
Au-dessus des flots, à flanc de rocher, une masure troglodyte
nichée dans un grotte murée, un pavillon en lambeaux flottant au bout d’une
canne de roseau sur un royaume minuscule protégé par une haie de paille, où
règne un autochtone barbu couronné de son chapeau de paille.
Un parking improvisé de terre battue creusé de fondrières
surmonté de deux palmiers étiques regroupe vans et véhicules aménagés capables
de parvenir en ces lieux perdus… sous le
panneau officiel flambant neuf indiquant « CAMPING PROHIBIDO » et
« PLAYA SIN VILIGANCIA »…
Nul poteau électrique, nul fil téléphonique, nul lampadaire, nul
derrick d’acier boulonné hérissée de multiples antennes et paraboles
électroniques, nulle route goudronnée, nul rondpoint circulaire, nul camion, camionnette
ou bus, nul panneau indicateur, nul feu tricolore, nul trottoir piétonnier…
Au loin les vedettes de pêche au gros tentent d’attraper des thons ;
les catamarans d’excursion passent s’en s’engager dans la large crique ;
les rares vedettes rapides qui tentent d’y mouiller s’enfuient en moins de
temps qu’il faut pour le dire ; comme quelques voiliers pris d’angoisse
par le fait de se retrouver loin de toute civilisation.
Plus profond dans la vallée, une réserve archéologique invisible à l’œil nu (identifiable par la carte de détail) est censée protéger des restes d’habitats des premiers occupants des Iles CANARIES, les GUANCHE, agglomération de huttes circulaires au solin de pierres sèches et d’habitats sous roche.
J’entends le chevrotement des chèvres fuyant dans le chaos
des rocs écroulés, les appels des femmes, les cris des enfants, les hurlements
des guerriers armés de cailloux et de bâtons de bois, et le long sifflement de
la chute dans le vide de leurs rois au cri de ATIS TIRMA ("Pour ma
Terre"), préférant la mort à leur mise en esclavage par les conquistadores
espagnols vers l’an de grâce 1483 préfigurant les conquêtes des Indes occidentales.
Peut-être Baranco VENEGUERA a-t-il échappé à cette extermination
quelques décennies en regroupant quelques poignées de survivants INEKAREN (« debouts »,
« « levés », « dressés ») parlant encore l’insuloamazigh
(langue guanche) ?
La vallée est tournée vers le large où l’on distingue au loin noyé dans les brumes, le bleu soutenu de l’île de TENERIFE surmontée des 3715m du Pic Teide.
Les couchers de soleil inondent la vallée tournée le sud-ouest et la nuit la lune
et les étoiles brillent d’un éclat insolite hors de toute pollution lumineuse… à
l’exception de la vague aura dégagé par Santa Cruz de Tenerife invisible dans
les lointains plus au nord.
Un jour sans doute peut-être trouvera-t-on à Baranco
VENEGUERA les mégalomaniaques complexes touristiques agglutinés sur les
falaises, avec leurs mall aux parkings multi-niveaux étalés au fond de la
vallée, et la plage sera-t-elle protégée des vagues soulevées par les houles
par deux jetées artificielles en cercles concentriques protégeant les espaces
de jeux nautiques pour de haves touristes désœuvrés ?
Pour le moment, Baranco VENEGUERA me semble encore être un
lieu où soufflent quelques esprits…
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