CHRONIQUE 32

ALISON

A MINDELO commence un autre monde.

J’éprouve des difficultés à exprimer le flot d’images, d’odeurs, de sons, de sensations…

Rien d’original pour les jet-setters tropicalistes : un peu d’opulence pour quelques-uns (peu visibles par moi, sauf à travers les uniques autos flambantes neuves), la pauvreté pour une poignée ayant la chance –c’est-à-dire l’ardent désir et les compétences – de travailler pour les touristes & bateaux de passage, l’honnête travail juste suffisant pour ceux cultivant des produits alimentaires de première nécessité, la misère pour l’écrasante majorité…

Et pourtant, je suis électrisé en découvrant MINDELO, une des faces ouvertes de cet archipel éclaté en 10 îles volcaniques, indépendant depuis 1975 dans la foulée de la Révolution des Œillets au Portugal… de plus en pleine campagne électorale pour reconduire le même dirigeant local du parti dominant depuis 16 ans !

MINDELO à la taille d’une sous-préfecture de province en voie d’extinction : une unique 4 voies de 2000 m en front de mer longeant un entrelacs de vieilles rues de pavés déglingués ; de magnifiques bâtiments ‘coloniaux’ de couleurs vert bouteille, bleu ciel, jaune-ocre voisinent avec des masures en ruines, dont certaines traduisent l’ancienne opulence coloniale ; quelques bâtiments officiels défraîchis cachent deux ou trois joyaux de culture quasi-déserts (même des touristes !) ;… le tout piqueté de marchés de fruits et légumes tropicaux et de poissons du plus magnifique ou plus miséreux, d’échoppes de bazars invraisemblables, souvent à ciel ouvert… avant les faubourgs plus que ‘rustiques’

La Marina en plein cœur de MINDELO ressemble à la presque-île réservé aux navigateurs portugais à Yokohama : une longue jetée enjambe le bord de plage au bout de laquelle se trouvent les bureaux, complété par l’incontournable restaurant-bar flottant réservé aux équipages des bateaux ; puis le long d’un quai flottant, les pannes d’amarrage perpendiculaires… le tout aux accès strictement filtrés par des personnes adéquates à tous quidams locaux indésirables…

Certains désignés sous le terme d’agents sont autorisés par la Marina à aborder le chaland touristique peu au fait des us et coutumes locales pour l’aider dans la résolution de ses problèmes au débouché du quai côté ville …

Alison  évoque avec nostalgie l'ancien temps où toutes les annexes de bateaux au mouillage 
s'échouaient sur la plage en contact direct avec les locaux... 

C’est ainsi que je lie connaissance avec ALISON au français aussi approximatif que prolixe …. pour trouver une courroie d’alternateur de rechange !

Le voilà hélant le premier taxi venu (très utilisés localement)… mais il me faut trouver des cruzeiros et il y a des queues devant tous les distributeurs automatiques les  plus proches, jusqu’à en dénicher enfin un disponible dieu sait où !

Nous voilà rouler à tombeau ouvert de magasins ‘spécialisés’ (des quincailleries !) d’un bout de la ‘ville’ à l’autre – en jaspinant portugais, français, anglais ‘alternator belt’… … avec la référence VOLVO et non la référence- produit !

Bien que bredouille, nous convenons - sur les conseils exprimés en français parfait d'un 'créole' - que je lui donnerai la vieille courroie (que j’aurai du prendre avec moi !) pour qu’il y retourne… 

Il est midi, je lui demande combien je lui dois : « c’est par AMIZADE (la main sur le cœur)... mais si tu veux me payer à manger… allons-y tous les deux ! ».

Direction un kiosque au milieu d'une immense vieille place de marché déglinguée, avec sur le chemin de multiples - « lui c’est une bonne personne, c’est mon ami, Capitan (me voilà proclamé Capitaine) ! » - le tout salué en entrechoquant les deux poings droits fermés (reste du COVID sans doute ?) … tout le monde connaît tout le monde, c’est vital pour la survie !

Le monument au coeur de MINDELO célébrant la traversée de l'Atlantique Sud 
par Sacadura CABRAL découvrant le Brésil (inopinément !)

Là, découverte de la misère se nourrissant d’elle-même

Quelques tables et chaises en fer déglinguées facilitent la procession continue des multiples hommes de tous âges absorbant ce qui tient le plus au corps pour le coût le plus bas (100 cruzeiros = 1€) : une tasse ou un verre de rhum décliné en différentes dénominations révélant les subtiles nuances d’un alcoolisme ravageur …

ALISON en avale deux tasses - les yeux plus tout à fait en face des trous à la fin du frugal encas ! - une assiette de riz impossible à finir accompagné d’un morceau de porc mariné élevé on ne sait où … - le tout après avoir patienté 1 heure assaillis par un essaim de mouches affamées !

ALISON – la légère ivresse stimulant son désir d’épanchements partagés - fait découvrir la dure loi de l’entraide entre capverdiens…

Chacun quémande un peu d’argent auprès de la personne qui semble en disposer quelque peu… sachant qu’il lui est difficile de refuser au titre de l’amistad !

Le bénéficiaire de cette ‘aide’ la rembourse… peut-être un jour fin de siècle si vous restez riche (donc potentiellement prêteur) !

Sinon malheur à celui qui est redevenu pauvre pleurant sur son amistad des jours fastes… même au sein de sa propre famille… le riche reste riche de ses aides aux pauvres, le pauvre s'appauvrit de son soutien aux pauvres ... surtout s'ils sont devenus plus riches que lui ! 

L'ancien palais du Gouverneur portugais devenu 
une sorte de Château de l'Elysée pour les réceptions étrangères

Une fois la vieille courroie transmise, ALISON finit par en trouver une juste à côté de la Marina (encore fallait-il le savoir !) pour un prix modique facture à l’appui (27€ !) sur lequel je lui laisserai la monnaie pour prise en charge du taxi… et de la peine prise sans compter par AMIZADE !

A une condition mentionnée par ALISON lui-même lors de notre frugal repas : « quand je donne ou prête de l’argent, c’est toujours en précisant que ce n’est pas pour tout de suite le boire en rhum ! »

J’ignore s’il a tenu parole…

 

ALISON devant son QG Kiosque à mouche 
après une bière locale KRIOLA partagée ensemble
 (il s'est retenu de demander un rhum...)

 PS : je retrouverai ALISON fidèle au poste de sortie de la MARINA samedi pour m'aider à compléter la cambuse de PAX en allant de marchés en marchandes (toutes dures à la négociation, en particulier sur mes indispensables tomates introuvables!) ... jusqu'à me faire parvenir - par porteur interposé - 2 gros fromages de cabra typiques à 10h du soir (il n'y avait qu'un assortiment de VACHE QUI RIT au quasi unique supermarché local) ... avant de me dénicher une douzaine d''oeufs de terre' (cad pas 'industriel) et 3 mégas 'pains de bateau' longue conservation juste cuit du dimanche matin ! 

Certains verront dans cet empressement l'unique intérêt ; d'autres verront y liront le fait que l'intensité de la relation soutient l''intérêt bien compris' des personnes liées entre elles, en particulier dans certaines cultures 'non barbares'. D'où son immense joie lorsque je lui ai confié qu'il était devenu célèbre à travers cette chronique !

Cette approche se différencie des harcèlements agressifs de nombreux jeunes - en particulier adolescents - pour quémander une pièce sans aucune contrepartie de service et de relation... D'où les emportements d'ALISON contre eux pour m'en protéger : "ils n'ont qu'à travailler !"... Conflits de génération traversant de multiples sociétés (à quoi bon travailler pour une misère lorsque une banane barré d'un morceau de scotch est adjugé plus de 6 millions € ... pour ne prendre que ce modeste témoignage d'indécence globalisée ?). 

 

 

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