CHRONIQUE 47 AMES ERRANTES DES MERS DU SUD

Les explorateurs du Pacifique - par leurs périples multipliés - d’est en ouest et du nord au sud - en quête d’un continent fantôme - ont découvert des poussières d’îles éparpillées aux quatre coins du Pacifique

Îles dont les habitants se sont avérés appartenir à la même culture, parlant la même langue, se nourrissant des mêmes aliments, partageant les mêmes croyances, pratiquant les mêmes mœurs…

Et ce de Hawaï à la Nouvelle-Zélande et de l’île de Pâques à la Nouvelle-Calédonie… qui dit mieux, surtout parmi les peuples terriens attachés depuis des millénaires à leurs picrocholines glèbes ?

Pitons de la baie des Vierges (FATU HIVA)

D’où ces mots admiratifs de l’explorateur-modèle qu’est COOK : « jamais hommes si peu nombreux n’ont conquis un espace océanique aussi vaste du Nord au Sud et de l’Ouest à l’Est… sans qu’il soit possible de comprendre comment ! ».

Le mythe des MERS DU SUD est le fruit imprévu de la découverte des symbioses entre un milieu – des centaines d’îles perdues au milieu de l’infini océan Pacifique – et la civilisation océanienne.

Initialement, la découverte des maigres cailloux ou atolls qui parsèment plus que chichement l’espace Pacifique est un produit secondaire de la quête de l’introuvable Continent austral.

Lorsqu’il est possible d’y trouver un havre bien protégé où restaurer navires et équipages – ce qui suppose des aiguades pures et abondantes et de fraîches nourritures végétales et carnées -, ces rades bénies des dieux deviennent des destinations logistiques vitales durant les longs périples d’exploration de 3 ans ou plus.

Cascade d'eau douce à foison... (FATU-HIVA)

Or ces îles sont tout sauf désertes dès qu’elles offrent quelques ressources : des êtres humains les occupent déjà en nombre, partageant une civilisation commune.

Du choc entre ces mondes - insoupçonnés par les uns et les autres - surgit le mythe des MERS DU SUD.

Les explorateurs européens avaient connaissance des civilisations millénaires, d’autant plus qu’ils luttaient contre elles tout échangeant avec elles : le puissant Empire seldjoukide, les brillantes civilisations musulmanes, les foisonnements inouïs des principautés des Indes, le millénaire Empire chinois, le rigoureux shogunat japonais…

Quant aux Indes occidentales devenues Amériques, les conquistadores et leurs successeurs avaient réduit les civilisations précolombiennes en cendres (mayas, aztèques, incas…) 250 ans auparavant… ne laissant derrière elles que des ombres de tribus d’‘indiens’ en sursis, y compris dans son Continent nord.

Les pirogues à balancier...

Tout à coup, au cœur du Siècle des Lumières se confrontent sans intermédiaire la quintessence de la civilisation moderne et une culture vivant dans l’absolue ignorance de tout autre monde qu’elle-même.

De cet ultime choc civilisationnel issus des Grandes découvertes naît le mythe des MERS DU SUD.

Le mythe des MERS DU SUD est l’aveu de l’impossible confrontation à armes égales entre extrêmes civilisationnels : la puissance et la force face à l’ignorance et la sauvagerie.

D’un côté, des élites imprégnées d’humanisme exaltant paradoxalement les « bons sauvages » … comme si les Lumières nées des guerres incessantes de tous contre tous pouvaient au même moment aspirer à redevenir ‘sauvage’ … et plus encore ‘bon’ !

De l’autre, des « sauvages » dépourvus de la moindre acculturation à des civilisations autres que leurs mœurs tribales insulaires, donc n’ayant aucun doute sur leur immortalité terminale ... croyance partagée par toutes les sociétés isolées !

Tiki 'contemporain' (FATU HIVA)

La fascination entre les uns et les autres oscille – prévisiblement – entre attraction morbide et répulsion incontrôlée … jusqu’à l’issue inéluctablement fatale : la FORCE de ce qui se définit depuis comme LA CIVILISATION (les autres civilisations deviennent des erreurs provisoires) impose son DROIT au nom du culte du PROGRES INFINI.

Non sans beaucoup de sang, de carnages et de morts… jusqu’à l’orée du XX° siècle !

Le mythe DES MERS DU SUD est le fruit doux-amer de cette impossible confrontation.

Certains retiennent de ce sombre tableau le rêve d’un Paradis perdu : la Nature infiniment généreuse, les mœurs accueillantes, la liberté coïtale offerte ad libitum sans censure ni tabous, le sentiment d’une éternité naturelle immuable, la grâce et la beauté poursuivie pour elle-même…

D’autres au contraire verront dans ce crépuscule d’une civilisation, le culte de la violence à fleur de lances meurtrières, d’arcs aux flèches empoisonnées et de terribles massues ; la domination absolue de tyranneaux héréditaires sur le bétail humain des bas-peuples ; les guerres intestines sans foi ni loi et les massacres mutuels continuels sans l’ombre d’une once de pitié… sans oublier le vol de tout chez tous comme mode naturel d’existence…

La baie des Vierges sous les pluies nourries...

A ces mœurs universelles s’ajoute une pratique originelle qui leur donne son sens plus que tout autre : le goût immodéré de la dévoration des meilleures parties du plus grand nombre de cochon-longs comme enrichissement du mana sacré personnel…

L’anthropophagie océanienne est tout sauf anecdotique en ce Siècle des Lumières…

La dévoration humaine ravive le tabou le plus profondément enfoui de l’espèce humaine auprès duquel celui de l’inceste n’est que peccadille.

Quelle pulsion plus archaïquement enracinée que le désir irrépressible de dévorer nos congénères – surtout haïs ou méprisés - pour affirmer notre infinie puissance narcissique… et quelle terreur plus irrépressible qu’être dévoré comme gibier de choix par nos propres congénères pour conforter leur self égotique ?

Comment pardonner à la civilisation océanienne de ne pas avoir par elle-même compris qu’il est des formes plus raffinées de parvenir aux mêmes résultats à moindres risques et d'illimités profits ?

Une nature généreuse dans des rudes reliefs

Le mythe des MERS DU SUD est le fruit d’un choix impossible entre éden et enfer.

L’Eden nourrit la sauvagerie et la sauvagerie prospère dans l’Eden… avant que d’autres formes de sauvagerie du Progrès ne lui impose – non sans mal ! – ses mœurs sauvagement policées.

Pour les uns, ce cocktail de délices inouïs et de terreurs absolues fouette leur sang de civilisés fatigués par l’hypocrisie de la fausse paix du progrès beniouioui ad libitum…

Pour les autres, il signifie – de manière définitive - l’impossible Paradis perdu terrestre… et donc autorise - pour certains ! - toutes les violences licites et illicites au nom de valeurs que chacun devient absolument libre de choisir.

D’où l’interrogation : ne serions-nous pas - sans le savoir - les enfants des âmes errantes nostalgiques de l’impossible mythe des MERS DU SUD ?

Fleur de tiaré... partout !


 

 


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